L’EMPIRE DU MÂLE

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Alors que l'Occident achève sa dernière décolonisation, celle de la «condition féminine» comme condition sociale aliénée, un nouveau foyer irritatif taraude la chair vive du rapport homme/femme : la condition masculine comme condition psychologique aliénée. L'homme était une évidence, il devient une question … et un problème dont s’emparent les magazines : «dur d'être mâle», «nos héros sont fatigués» …. Certes, cette image brisée de la virilité ne surprendra pas les professionnels du «colloque singulier« (psychologues, médecins...).  Elle n'étonnera pas non plus les femmes, confidentes (ou victimes) de leur mal-être. La nouveauté est ailleurs : ce qui, jusqu'ici, se murmurait dans le secret de la consultation ou l’intimité de l'alcôve, se dévoile au grand jour, fait irruption dans les médias. On s'interroge sur l’image réductrice de la femme-objet, de la femme-faire-valoir, de la femme-potiche qui s’affiche sur les écrans. Mais que dire alors de celle de l'homme? Peu glorieuse dans son oscillation entre deux ridicules: le ridicule “zoroïque” (Zorro et ses avatars modernes: Rambo and Co!) et le ridicule «zéroïque» (anti-héros, jouet des femmes ou du destin). 

« Depuis Copernic, il sait que sa terre n'est pas le centre de l'univers. Depuis Darwin, il sait qu'il n'est pas le Roi de la création mais l’ultime bourgeon de l'évolution des espèces. Depuis Freud, il sait que sa raison n'occupe pas le centre de gravité de sa psyché. »

Le quatrième camouflet historique

Dans toutes les sociétés humaines, l’individu est assigné à un rôle-de-sexe (sex-typing) selon l'idée qu'elles se font de leurs positions respectives sur la scène du grand théâtre social. Les hommes y puisaient leurs idéaux de réalisation personnelle, leurs repères identitaires. Les qualités masculines (force, courage, sang-froid) étaient les valeurs primées. Aujourd'hui, l'émancipation féminine  redistribue les rôles. Sur la scène, l'actrice initie un nouveau texte … mettant son partenaire en demeure de réajuster le sien. Mais l'homme n'a jamais été préparé à jouer dans un scénario dont il n'est pas l'auteur. Et un nouveau camouflet vient le frapper de plein fouet. Depuis Copernic, il sait que sa terre n'est pas le centre de l'univers. Depuis Darwin, il sait qu'il n'est pas le Roi de la création mais l’ultime bourgeon de l'évolution des espèces. Depuis Freud, il sait que sa raison n'occupe pas le centre de gravité de sa psyché. Il comprend aujourd’hui que le « Sexe Fort » n'est pas le sien. Le féminin s'affirme comme Premier Sexe et Sexe Fort. Premier sexe puisqu’au départ de la vie intra-utérine, tous les embryons sont 

féminins jusqu’à ce qu’une hormone différenciatrice assure la bifurcation vers la polarité mâle. Sexe fort puisque résistant mieux au stress et à la maladie grâce à un système immunitaire performant. Idem sur le plan psychologique. L'édification identitaire est plus ardue pour le garçon que pour la fille, donc plus sujette aux dérapages. En outre, face aux aléas de l'existence, les femmes peuvent compter sur des “amortisseurs” qui font défaut aux hommes alors que la résilience psychique des hommes est prisonnière du silence. Analphabète du corps et du cœur, s'interdisant l'appel à l'aide dans la détresse, le mâle suffoque. La nomination “sexe fort” qui lui est attribuée ne se justifie plus que sur le seul registre de la puissance musculaire. Le récit de la Genèse s'est fourvoyé: c'est Adam qui fut façonné au départ de la côte d'Eve et non l’inverse.

Quand le point d'appui vacille, l'équilibre bascule

L'exaltation des qualités viriles coïncidait avec une exigence du progrès alors que les femmes vaquaient aux besognes triviales du ménage et s'épuisaient en maternités successives. Aujourd'hui : inversion axiologique. A la Bourse des valeurs sociales, les cotations changent. Les fonctions de maternage et d'éducation des enfants sont valorisées. Accouchement et allaitement sont évertués comme des expériences d'une exceptionnelle intensité dont les pères sont exclus. Si l'on y ajoute les orgasmes fastueux qu'autorise, selon les sexologues, un corps choyé en zones érogènes, on conviendra que Dame Nature a changé de chouchou. Emerge alors chez certains mâles un nouveau syndrome: le désir de matrice, l'envie du vagin/ clitoris. La condition féminine comme condition sociale aliénée s’éfface. Dorénavant, les femmes cesseront de se heurter aux stéréotypes infériorisants et infantilisants. Elles connaîtront l'exaltation de l'action, l'ivresse de la réussite et les délices du pouvoir. Les hommes seront autorisés à se déconstiper sur les plans émotionnel et sexuel. En apprenant à mieux connaître leur corps, peut-être se mettront-ils à le respecter. Le théâtre de la séduction s'enrichira de nouveaux scénarii. Hommes et femmes pourront jouer sur les deux claviers de l'actif et du passif. Les femmes attendront moins et agiront plus. Les hommes jouiront du droit de réserve sexuelle et de pudeur libidinale sans risque de faire douter de leur virilité. Néanmoins pas d’optimisme démesuré. Refoulé à quelques encablures, le problème risque de resurgir ailleurs car égalité signifie liberté d'être et de se déployer, donc hétérogénéisation et complexification. Jusqu'ici, les femmes devaient s'exprimer comme les hommes. En imposant leur propre parole et désir, elles vont se distinguer de la «culture dominante» masculine. Enrichissement mais aussi nouvelle source de difficulté. L'égalitarisation socio-politique fera saillir une tragique aporie: l’asymétrie radicale des désirs masculin et féminin.

La redoutable asymétrie du désir 
Nous naissons sexués, donc castrés. Nous habitons un corps non choisi. Si l'anatomie n'est pas le destin, elle en est une part. Une morphologie à dominance musculaire chapeautée par une hypertrophie scapulaire, induit une inclusion au monde «instrumentale» et «intrusive» (masculine). De plus, les organes génitaux divergent par leur structure (en «creux » et en «pointe») et par leur modalité de fonctionnement (diffusion ou décharge). C'est pourquoi le rapport-de-sexe demeurera toujours une quête erratique d'identité et une relation problématique à l'autre. La complémentarité des sexes n’existe que sur le seul registre anatomique. Pour le reste, désirs masculin et féminin ne s’ajointent pas. La sexualité masculine est nomade, désolidarisée des sentiments (l’objet du désir est interchangeable pour peu qu’il présente les déclencheurs érotiques appropriés). En outre, elle fonctionne sur le registre de la vision et est soumise à la tyrannie de l'image. Elle est aussi impérieuse dans sa quête d'assouvissement et fétichiste (le corps féminin est morcelé). Prisonnier de l'imaginaire et du fantasme, d'un désir impératif et fétichiste stimulé en permanence par l'érotisation  du décor quotidien,  comment le mâle parviendra-t-il à gérer sa relation aux femmes si n'intervient pas une nouvelle économie du rapport-de-sexe, une nouvelle culture de séduction? 

« Le petit garçon naît avec des gonades masculines, mais il devra conquérir son statut sexué et prouver qu’il est un homme par un arrachement douloureux d’avec son univers féminin originel. »

De nouvelles percées dans les circuits amoureux?
Masculinitude et féminitude sont les parts maudites de notre destin de genre. Sont-elles l’avers et le revers de la même médaille? Non ! La féminitude est une aliénation culturelle produite par un mode (patriarcal) d’organisation de la Cité. La masculinitude puise ses racines ailleurs. Il ne suffit pas d’avoir un sexe d’homme pour être un mâle. Encore faut-il être reconnu par les autres hommes afin de n’être pas considéré comme une femme. Le petit garçon naît avec des gonades masculines, mais il devra conquérir son statut sexué et prouver qu’il est un homme par un arrachement douloureux d’avec son univers féminin originel. La femme n’a pas à devenir femme. Elle l’est et n’a rien à prouver. Dans un cas comme dans l’autre, il y a aliénation. A une différence près: s'il est possible de s'émanciper d'une oppression cultuelle par le combat politique et les revendications sociales, il est beaucoup plus difficile d'entamer le roc d'une occlusion structurelle. Ce sont ces intuitions diffuses chez beaucoup d'hommes qui font impasse et les incitent à résister au changement de la partition sexuée. Cette résistance génère deux attitudes extrêmes. D’abord le réflexe nostalgique : pour se protéger de la féminisation, ils s'accrochent à l'espoir d'une restauration des valeurs anciennes et se font les chantres d'une misogynie hard ou soft. A cette attitude «paranoïde», s'oppose l'attitude «dépressive» de nombreux mâles déboussolés qui abandonnent la place (le phallus?) aux femmes. Ceux-là se calfeutrent dans le scénario démissionnaire de l'homme-enfant en quête d'une mère protectrice. Ces deux attitudes sont régressives. La première entend recréer l’ancien rapport de soumission. La seconde l'inverse, ce qui, en définitive, revient au même.

Conclusion
Est-il possible de profiler une «troisième voie»? Sans doute! Elle se traduirait par une conjonction complice des aspirations libératrices des uns et des autres qui parviendrait à dépasser ou à gérer sans violence l’asymétrie des désirs. Mais c'est un défi sans précédent puisqu'il suppose une nouvelle partition des rôles sexuels, une nouvelle économie libidinale, la percée de nouvelles voies de circulation dans les circuits du désir. En sommes-nous capables? Pour la première fois de son histoire, le mâle est confronté à une mutation qu'il n'a pas orchestrée et qui le met en demeure de réfléchir à son identité sexuée et à son rapport aux femmes. Résistera-t-il aux démons de la frilosité conservatrice ou de la démission apathique à l'endroit d'une évolution qui ne pourra se réaliser sans lui? La condition féminine n'a jamais été un problème exclusivement féminin. La masculinitude n'est pas non plus un «problème d'homme» car lorsqu'un sexe souffre, l'autre est atteint. Le temps est donc venu de réfléchir et d'expérimenter ensemble les modalités d'une “nouvelle alliance”. La capacité d'une civilisation à contribuer au progrès humain, ne se mesure-t-elle pas à son aptitude à relever des défis inédits?

[Note de l'éditeur: cet article fait partie d'une série sur la façon dont les hommes et la masculinité sont vus dans diverses parties du monde. Les opinions exprimées ci-dessous, de l'avis de l'auteur, représentent très probablement des praticiens des sciences humaines en France, en Belgique Français et au Canada.]

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Avertissement: Cet article est à titre d'information uniquement et ne remplace pas une thérapie, des conseils juridiques ou d'autres opinions professionnelles. Ne négligez jamais ces conseils à cause de cet article ou de tout ce que vous avez lu du Centre de Psychologie Masculine. Les opinions exprimées ici ne reflètent pas nécessairement celles du Centre de Psychologie Masculine ou ne sont pas approuvées par celui-ci, et nous ne pouvons être tenus responsables de ces points de vue. Lisez notre clause de non-responsabilité complète ici.


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Patrick Traube

Psychologue clinicien, psychothérapeute, écrivain:  Le choix amoureux (Ed.Labor- Belgique),  Anatomie du sexisme ordinaire  (Ed. Odicé- France),  La guerre des sexes : un avenir ? (Ed.Odin- France)

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